Au nom d'Allâh, le Tout-Miséricordieux, le Très-
Miséricordieux! Louange à Allah qui prononce synthétiquement
un décret immuable et qui assigne distinctivement un destin à
toute chose, qui décide et exécute Ses décisions, qui
reçoit satisfaction et accorde Sa satisfaction, qui est trop Saint
dans Sa magnificence et Sa majesté pour être contre-partie de
ce qu'Il transcende, de même qu'II est trop transcendant pour être
"substance" ou "accident"!
Il a purifié les coeurs de ceux qu'll a préférés
d'entre Ses serviteurs, et n'y a pas mis les maladies des doutes et des
illusions. Il n'a pas placé ces serviteurs comme cibles pour les
flèches de la contradiction et de l'hostilité, mais a fait
briller pour eux, par l'Essence llluminative, le sabre dégainé
de la Direction, de sorte qu'ils envahirent toutes les étendues! Parmi
eux, il y en a qui, ayant été revêtus, se sont
dévêtus.
Ceux qui portent leurs revêtements considèrent ce qui leur a
été ainsi conféré comme un prêt, et ceux
qui les ont ôtés, leur oeuvre surérogatoire se trouve
convertie pour eux en obligatoire. ll les présente ainsi, comme un
titre de gloire devant le Plérôme Suprême, et établit
leur autorité dans les Mondes supérieur et inférieur,
en leur accordant l'héritage du Ciel et de la Terre ainsi ils parcourent
avec le pied intrépide de la précellence, I'Exaltation et
l'Ampleur, et gouvernent de leurs sièges, en liant et en
déliant!
Et que la Prière (dispensatrice de Grâce) soit sur celui (le
Prophète Muhammad) auquel il fut dit: "Peut-être ton Seigneur
te fera-t-ll des dons et tu seras ainsi satisfait" (Cor. 93,5), de sorte
qu'il fut distingué de celui (Moïse) qui disait: "Je m'empresse
vers Toi, ô Seigneur pour que tu sois satisfait (Cor. 20, 84). Que
cette Prière soit permanente dans la langue de l'éternité
et ne connaisse donc jamais de fin, et qu'elle s'étende aussi sur
les membres de Sa Famille, les Purs, et sur ses Compagnons, les favorisés
de la Satisfaction divine, ainsi que sur ses Frères (les autres
Prophètes) qui l'ont reconnu comme véridique, depuis leur station
élevée et agréée!
La Réalité Divine Essentielle
(al-Haqîqatu-l-Ilâhiyya) est trop élevée
pour étre contemplée par l'"oeil" qui doit contempler, tant
que subsiste une trace de la condition de créature dans l'"oeil" du
contemplant. Mais lorsque "s'éteint ce qui n'a pas été"
- et qui est (par nature) périssant - "et reste ce qui n'a jamais
cessé d'être" - ce qui est (par nature) permanent- alors se
lève le Soleil de la preuve décisive pour la Vision par soi
(al-'lyân). Alors se produit la sublimation absolue
(at-tanazzuhu-l-mutlaq) effective dans la Beauté Absolue
(al-Jamâlu-l-Mutlaq), et c'est cela l'"OEil de la Synthèse
et de la Réalisation par excellence" ('Aynu-l-Jam'i wa-l-Wujûd)
et la "Station de la Quiétude et de la Suffisance Immuable"
(Maqâmu-sSukûni wa-l-Jumûd). Cet Oeil voit alors
les Nombres comme étant un "Unique", le nombre "Un"
(Wâhid), qui, cependant, voyage dans des degrés
numéraux et qui par ce voyage manifeste les entités des Nombres.
C'est à cette station contemplative que se produit la glissade de
celui qui professe (la doctrine de) l'"unification"
(al-ittihâd), Celui-ci, voyant que l'Unique voyage dans des
degrés numéraux dont l'existence est purement estimative
(wahmiyya), où Il reçoit toutefois des noms qui varient
avec les degrés, ne voit pas les Nombres comme étant autre
chose que l'Un (al-Ahad): alors il dit qu'il y a eu "unification",
Or (I'Unique, ou l'Un) ne paraît avec son propre nom (ism), en même
temps qu'avec son essence (dhât), dans aucun autre degré
que dans celui de l'Unité première (al-Wahdâniyya);
toutes les fois qu'il paraît dans d'autres degrés que celui-là
avec son essence, il ne fait pas paraître son propre nom, mais est
nommé alors d'après ce que confère la réalité
des degrés numéraux respectifs. Ainsi, par son "nom" propre,
il produit l'extinction (yufnî) et par son "essence", il produit
la permanence : quand tu dis "un" (ou "unique") (wâhid)
s'éteint ce qui est autre que lui, par la vertu de ce nom, et quand
tu dis "deux", l'entité du "deux" paraît par la présence
de l'essence de l'Un à ce degré numéral, mais
évidemment pas en raison du nom de Celui-ci, car ce nom est contradictoire
avec l'existence dudit degré numéral, alors que son essence
n'y fait aucune opposition.
Ce genre de dévoilement (kashf) et de science ('ilm)
doit être caché à la plupart des créatures, en
raison de ce qu'il y a en cela de trop élevé; au-dessous de
cela, il y a un abîme profond, où la chute est beaucoup à
craindre. En effet, si quelqu'un qui ne possède pas la connaissance
des réalités propres des choses (haqâ'iq) et ignore
la continuité infinitésimale des attaches universelles
(raqâ'iq), en abordant cet ordre de doctrine contemplative,
tombe sur quelque propos émanant d'un être qui a possédé
effectivement une telle connaissance, alors que lui-même n'en a jamais
eu quelque expérience directe il pourrait (s'autoriser à) dire
(lui aussi): "Je suis Celui que j'aime, Celui que j'aime est moi". C'est
pour cette raison que nous voilons et celons ce genre d'enseignement.
Hasan al-Basrî - qu'Allâh lui fasse miséricorde! - (qui
donnait régulièrement un enseignement public), lorsqu'il voulait
parler de ces mystères qui ne doivent pas se trouver sur le chemin
de ceux qui n'en sont pas dignes, appelait à part Farqad as-Sabakhî
et Mâlik Ibn Dinâr, ainsi que les autres présents d'entre
les gens du "goût" initiatique (ahlu-dhawq), et fermant la porte
aux autres, traitait de ces matières en séance intime. S'il
n'y avait pas eu une nécessité d'observer le secret, il n'aurait
pas procédé de cette facon. De même Abû Hurayra
- qu'Allâh soit satisfait de lui! - a dit, selon ce que rapporte
al-Bukhârî dans son Recueil de hadîths: "J'ai porté
de la part du Prophète - qu'Allâh prie sur lui et le salue!
- deux "sacs": l'un, je l'ai dispensé entre vous tous; l'autre, si
j'agissais de même, on me couperait cette gorge". De son côté,
Ibn 'Abbâs, - qu'Allâh soit satisfait de lui! - en parlant du
verset: "Allâh qui a créé sept Voûtes Célestes
et autant de Terres; le Commandement descend entre elles" (Cor. 65, 12),
déclarait: "Si je vous disais quelle en est l'interprétation
(ésotérique), vous me lapideriez en disant que je suis un
infidèle". D'autre part, 'Alî ben Abî Tâlib - sur
lui la paix! - frappait sa poitrine et disait: "Ah! En vérité,
ici il y a force sciences! Si seulement je trouvais des êtres qui puissent
les porter!" Enfin, l'Envoyé d'Allâh - qu'Allâh prie sur
lui et le salue! - disait: "Abû Bakr vous est supérieur, non
pas par le nombre des prières ou des jeûnes, mais par quelque
chose qui est survenu dans sa poitrine", et il n'expliqua pas ce qu'était
cette chose, mais se tut là-dessus. Toute science ne doit pas être
expliquée par celui qui la possède, et le Prophète -
qu'Allâh prie sur lui et le salue! -disait: "Parlez aux hommes selon
la capacité de leurs intelligences".
De ce fait, quand quelqu'un trouve un livre traitant d'une science qu'il
ignore et dont il n'a pas pris la voie, il ne doit pas s'en mêler,
mais remettre le livre à ceux qui s'y entendent, sans se considérer
tenu d'y croire ou de n'y pas croire, ou même d'en parler.
"Tout porteur de science religieuse n'est pas nécessairement savant
véritable" (hadîth).
"Mais ils traitent de mensonge ce dont ils ne possèdent pas la science"
(Cor. 10, 39).
"Pourquoi disputez-vous au sujet de ce dont vous n'avez pas une science?"
(Cor. 3, 66).
Ainsi, nous sommes instruits que les hommes sont blâmés quand
ils parlent sur une chose sans avoir parcouru la voie qui y mène.
Nous avons été amené à mettre en avant tout cela,
du fait que les livres des gens de notre voie sont pleins de mystères,
et que les spéculatifs (ahlu-l-afkâr) s'en saisissent
et les considèrent selon leurs points de vue spécifiques, et
de même les exotéristes (ahlu-l-Zâhir) les
interprètent selon les acceptions les plus littérales, pour
se mettre ensuite à en médire. Or, si on demande à tous
ceux-là simplement les acceptions véritables des termes techniques
qu'emploient, d'un commun accord, les initiés (al-Qawm) dans
leurs formulations, on constate qu'ils les ignorent! Comment s'autorisent-ils
alors à se prononcer sur des questions dont ils ne possèdent
pas le principe? Peut-être même, quand ils voient les gens de
cette voie s'entretenir à l'écart avec leurs compagnons au
sujet de leurs expériences, leur arrive-t-il de dire: "Une religion
cachée est une religion mauvaise"; or, ils ignorent les différents
aspects de la Religion. Les initiés cachent, non pas la Religion,
mais certaines conséquences de celle-ci et ce que le Vrai - qu'Il
soit exalté! - leur a accordé pendant leur vie sous la règle
d'obéissance et au moment même où ils Lui ont obéi.
Ainsi, en matière de hadîths portant sur les règles
religieuses, il se peut que pour eux soit "valide" un hadîth que les
exotéristes sont d'accord pour déclarer "faible" et de
"transmission défectueuse"; or les initiés peuvent tenir comme
"valide" un tel hadîth, en tant qu'ils l'ont obtenu de leur
côté par saisie intuitive (kashf), directement de celui
qui l'a prononcé; de ce fait, ils en tiennent compte pour leurs pratiques
spirituelles, autrement que ce n'est établi chez les savants
littéralistes, et ces derniers les classent alors parmi ceux qui sont
sortis de la religion, en quoi ils sont injustes, car la vérité
peut être atteinte sous différents aspects, et celui-ci en est
un. Inversement, il se peut qu'un hadîth considéré par
les littéralistes d'un commun accord comme "valide", ne le soit pas
en fait à la lumière du dévoilement intuitif, et les
initiés n'en tiennent pas compte pour leurs pratiques.
Alors, combien est louable celui qui, dans de telles situations, s'abstient
d'intervenir et, cherchant la direction salutaire, s'occupe de soi-même,
de sorte que chacun se tiendra à la place qui est la sienne. Un tel
homme est heureux, et s'assure la faveur de l'ordre total des
réalités.
Ceux qui couvrent les mystères sous des expressions techniques emploient
celle-ci conventionnellement, par précaution à l'égard
des profanes, et ceux qui professent l'efficacité des "aspirations
(ou énergies) spirituelles" (al himam, sing. al-himma),
ne cessent de se tenir sur leurs voies claires et précises jusqu'à
ce que des panneaux annonciateurs brillent pour eux, portés par les
mains des Esprits Supérieurs qui résident au Degré de
la Proximité à la Station de la Parole Bouche-à-Bouche
(al-Fahwâniyya), panneaux sur lesquels des "Ecritures" bien
tracées et saintes se lèvent pour eux, comme "témoins"
de la réalisation qu'ils ont obtenue, et leur confèrent le
transfert de ce mode (wasf) à un autre mode, par voie de
sublimation (intiqâlan munazzahan). Alors le voile est enlevé,
et ce qui avait été caché est mis à découvert!
Alors est défait le bandeau, retiré le verrou, ouverte la serrure!
Alors les "aspirations-énergies" propres à cet autre mode
s'unifient pour scruter la Réalité Une
(al-Haqîqatu-l-Ahadiyya), et l'être ne concoit plus qu'une
seule aspiration" (hamm wâhid) et rien d'autre. De cette
"aspiration" unique procèdent des influences qui portent effet sur
la Réalité Pure (al-Haqîqa).
Ainsi, tantôt ces influences procèdent par abstraction de
"l'aspiration unique", tantôt elles procèdent des dites aspirations
au moment même où elles se produisent, mais c'est toujours Lui
qui est le Visé selon toute face, même s'Il n'est pas connu,
c'est Lui le cherché par toute aspiration, même s'Il n'est pas
atteint, de même que c'est Lui l'énoncé par toute langue,
même s'Il reste ineffable! Et quelle formidable stupeur on éprouve
et quel immense soupir de soulagement on pousse lorsque "le bandeau est
enlevé, et que la vue (basar) est devenue pénétrante",
lorsque "le Soleil s'unit à la Lune", et que l'Influent
(al-Mu'aththir) paraît dans son Influence (effet)
(al-athar) pour être saisi par l'OEil de l'homme! Alors Il se
montre à eux (les "spectateurs") sous diverses Formes, alors se produit
la ruse à l'égard de ceux qui ont rusé, alors gagne
celui qui a la foi et perd celui qui ne l'a pas!
Le Propos divin a apporté dans la langue la plus sainte la notion
de "Pureté adorative" (al-Ikhlâs); celui qui purifie
son adoration en l'affranchissant du pouvoir de l'idée de
"rétribution", étant ainsi de conception "hanifienne" et de
voie directe, celui-là s'acquitte du devoir de conformité au
Commandement et appartient au "monde de la Lumière"
('âlamu-n-Nûr), et non pas au "monde du Salaire"
('âlamuI-Ajr).
"Allâh est la Lumière des Cieux et de la Terre" (Cor. 24, 35).
"Ils auront aussi bien leur salaire que leur Lumière" (Cor. 66, 8).
"Leur Lumière court devant eux" (Cor. 57, 12).
"La Lumière leur dit: "Je suis votre Seigneur!" et il La suivent.
Les Muhaqqiqûn (les Connaissants Compétents) ont abandonné
le salaire chez Allâh; il ne leur est pas possible de le Lui réclamer
car le temps leur fait défaut, tant ils sont préoccupés
de Lui - qu'Il soit exalté! - Celui qui laisse lui échapper
son lot concernant Allâh Lui-Même, celui-là est le perdant.
Les oeuvres, qui sont les moyens par lequels on s'acquitte des obligations
et de ce qui est proposé par la tradition prophétique, attirent
par leur simple existence la récompense: ne te soucie donc pas de
celle-ci. Les mouvements des corps auront nécessairement leurs fruits
sensibles: ne demande donc pas ce que les mouvements comportent par
eux-mêmes, car tu gaspilles inutillement ton temps. Allâh - qu'Il
soit glorifié! - a dit au sujet de Soi-Même: "Il est chaque
jour à une OEuvre" (Cor. 55, 29), or le "jour" est l'unité
de temps, et l'"oeuvre du jour" en ce qui te concerne fut existenciée
pour toi, non pas pour Allâh, car Il n'a pas de "besoins", et rien
ne peut lui revenir de la part de Ses créatures qu'Il n'ait de
Lui-Même. Ce qu'Il crée, c'est pour toi qu'Il le crée;
tiens-toi donc ici en relation de correspondance avec lui et occupe-toi,
de ton côté, de Lui. Sois toi-même chaque jour à
l'oeuvre pour ton Seigneur, tout comme Lui est à l'oeuvre pour toi.
En vérité, "Il ne t'a créé que pour que tu L'adores",
et pour que tu te réalises par Lui, non pas pour que tu te soucies
de ce qui est autre-que-Lui. Ce qui est autre- que - toi et autre-que-Lui
est cependant un don qui doit te parvenir. Allâh a dit au sujet de
Soi-Même: "Je ne leur demande pas des vivres! Je ne demande pas qu'ils
me nourrissent! C'est Allâh, celui qui donne les vivres!" (Cor. 51,
57-58). Et s'Il te dit: "Prends!", réponds: "C'est à Toi de
prendre!" S'Il te dit: "Retourne!", réponds: "De Toi vers Toi". S'Il
te demande "Comment, lorsque Je te dis: "Prends!" me réponds-tu: "C'est
à Toi de prendre!", alors que Moi Je n'ai pas à prendre pour
moi?", réponds-Lui: "De même, moi en vérité, je
ne saurais "prendre", car la prise est un acte, et moi je n'ai pas d'"acte".
C'est Toi celui qui prend, car c'est Toi l'Agent (al-Fâ'il).
Prends Toi-Même pour moi ce que Tu me donnes, et ne me dis pas: "Prends,
toi (créature) qui ne peux prendre!", car si Tu me parles ainsi, par
l'idée de prendre de Toi Tu mets un voile sur moi. Je ne puis rien
prendre; comme Tu n'es pas à moi, et que je n'ai aucun pouvoir de
prise, si je tâchais de prendre, j'obtiendrais le néant, ce
qui est le pire des maux! Sinon... mais je demande plutôt à
être exempté et pardonné de cet entretien dangereux,
ô Celui qui saisit et n'est pas saisi, qui possède et n'est
pas possédé!"
Il peut arriver que dans l'un de ces "lieux" (mawâtin) on te
présente la Religion Droite instituée d'autorité par
un organe prophétique, voie d'élection et de pureté
et la Religion Non-Droite, sapientiale, mélangée, spéculative
et intellectuelle, Tu discerneras entre les deux voies, et tu considéreras
la fin ultime de chacune d'elles, qui est le Vrai (al-Haqq) - exalté
soit-Il! -, selon ce qui fait ton bonheur et non le malheur. Prends alors
la voie de la Religion d'élection et pureté, de mode
prophétique, car elle est plus élevée et plus profitable.
Bien que l'autre soit d'une très haute luminosité
(rafî'u-l-manâr), et qu'elle soit également "vraie"
selon un aspect, cependant sa trace s'efface du fait de l'existence de la
voie prophétique. Si le fondateur d'une voie sapientiale était
maintenant du monde des vivants et présent, il rejoindrait peut-être
lui-même la Religion d'élection prophétique. Nous voyons
déjà que la "Religion d'élection" elle-même
(formulée par les Prophètes antérieurs) peut être
ramenée à un égard ou à plusieurs égards
à la "Religion d'élection et pureté" par l'effet des
abrogations (que la Loi de cette dernière, la muhammadienne, a
apportées à l'égard des lois religieuses
antérieures).
N'est-il pas vrai que les législations (ash-Sharâ'i',
sing. ash-Sharî'a) sur lesquelles reposaient les communautés
religieuses antérieures, comme celles de Moïse et de Jésus
- sur eux le salut! - ont été, à certains égards,
abrogées par la Loi de Muhammad - qu'Allâh prie sur lui et le
salue! - Le Prophète a même dit: "Si Moïse était
vivant, il ne pourrait faire autrement que de me suivre." A plus forte raison
en sera-t-il ainsi de la législation sapientiale qui procède
de l'"initiative personnelle" (ibtidâ'î) et qui est de
mode spéculatif (fikrî), car elle est plus propre à
être "enlevée", bien qu'elle aussi soit "vraie" selon un aspect,
ainsi que nous l'avons dit.
Enfin, sache que le plus misérable des êtres est celui qui a
un "livre" (Kitâb) et qui s'égare "en suivant ses passions",
quoiqu'il ait une foi dans son livre. Mais ici il y a un point que je
désire élucider, car on l'a peu relevé, et il est possible
que certains s'y soient trompés quand ils ont examiné cette
question sous le rapport de la "possibilité (d'exister ou de ne pas
exister) de ce qui se trouve à l'état de potentialité"
(aljawâzu-l-imkânî); l'état existenciel
(al-wujûd) s'établissant sur l'une des deux solutions
de l'alternative qui conditionne l'être possible (al-mumkin),
il n'y a plus moyen de faire revenir l'être existencié (à
l'état de simple possibilité indifférente). Il en est
effectivement de même lorsque le Vrai - qu'Il soit exalté! -
se révèle à une chose, car alors Il ne se voile plus
jamais à elle, et également quand Il "inscrit" (kataba)
la foi dans un coeur, Il ne l'efface plus. Or si quelqu'un dit: "Il s'est
caché à moi après qu'Il s'est révélé",
c'est qu'Allâh ne s'est aucunement révélé à
lui, mais qu'Il lui a seulement montré quelque clarté; celui-ci
a cru pouvoir dire alors: "C'est Lui!" (Huwa Huwa). Ensuite, comme
l'être créé n'a aucune stabilité dans un état,
lorsque l'état change, il dit qu'il y a "voile" (hijâb).
Or, de même, l' "inscription" de la Foi et l'attribution des "Signes"
(al-Âyât) et des "Evidences" (al-Bayyinât)
ne cessent jamais lorsqu'elles sont des dons faits "dans les coeurs", et
que dans ces coeurs se dressent les Témoins de réalisation
(ash-Shawâhid, sing. shâhid). Si des choses qui
ressemblent à ces réalités viennent à être
retirées à quelqu'un, sache que ces choses n'avaient pas
été "inscrites" dans la Table (al-Lawh) de son coeur,
et l'être ne les "enveloppait" pas, mais était "enveloppé"
par elles comme par un manteau; cet être n'avait reçu que les
formules opératives et le droit de les prononcer et n'avait pas reçu
leurs "réalités" mêmes; de tels dons peuvent être
repris et ils peuvent donc cesser. C'est ainsi qu'Allâh a mentionné:
"Récite-leur l'affaire de celui auquel Nous avons donné Nos
Signes et qui s'en est dépouillé" (Cor. 7, 174). Les paroles
"s'en est dépouillé" (insalakha min-hâ) expriment
un fait analogue à l'enlèvement de l'habit par l'homme ou à
l'abandon par le serpent de sa vieille peau. Les Signes en question étaient
comme un habit sur le personnage (anonyme auquel se rapporte la mention
coranique), dans le sens que nous venons de préciser; celui-ci ne
détenait que le pouvoir de "prononcer" certaines formules
opératives; quand il prononçait celles-ci, paraissait l'aspect
caché du Nom (maknûnu-l-Ism) qui entrait dans ces
formulations, ainsi que son effet produit par vertu spéciale
(bi-l-khâssiyya). Dans le cas des moyens exceptionnels à
vertu opérative, il n'est requis aucune condition de pureté
rituelle, ou de sainteté personnelle, ni de conscience, ni de
concentration, pas plus qu'il n'est question de foi ou de manque de foi:
il ne s'agit que d'une simple prononciation de lettres déterminées,
et l'effet se produit même si celui qui les prononce est distrait par
rapport à ce qu'il articule. Une chose analogue arriva à l'un
de nos compagnons qui, récitant le Coran et parcourant un certain
verset, constata que ce verset lui occasionnait un certain effet; il s'en
étonna sans pouvoir se l'expliquer. Alors il reprit la récitation
depuis les versets antérieurs, et lorsqu'il arriva au dit verset il
constata de nouveau lui-même l'effet. Et chaque fois qu'il le
répétait, il observait cet effet. Ainsi, il connut que ce verset
qui s'était "ouvert" par hasard, pendant sa récitation, est
un des "lieux" coraniques à vertu spéciale; par la suite, il
le prit comme "nom" (à invoquer opérativement) et produisait
l'effet respectif chaque fois qu'il le voulait. Toutefois, une chose de ce
genre ne séduit pas un Connaissant Véritable (Muhaqqiq),
car celui-ci ne saurait se réjouir que de ce qu'il réalise
effectivement en soi. C'est ainsi que lorsqu'on demanda à Abû
Yazîd (al-Bistâmî): "Quel est le Nom Suprême
(al-Ismu-l-A'zam) d'Allâh?", il répondit: "C'est la
Sincérité! Sois sincère et prends n'importe quel nom
divin que tu voudras!" Par cette réponse, il engagea à la
réalisation effective (at-tahqîq), non pas à une
simple prononciation de formule.
Allâh a dit: "Ceux-là, Il a inscrit dans leurs coeurs la Foi
(al-Imân)" (Cor. 58, 22). Mais le coeur a deux "faces" l'une
extérieure, l'autre intérieure. La face intérieure ne
comporte pas l'"effacement" (al-mahw), elle est pure et sûre
"fermeté" (ithbât). La face extérieure, par contre,
comporte l'effacement: c'est proprement "la Tablette de l'Effacement et de
l'Etablissement" (Lawhu-l-Mahwi wa-lIthbât); un temps, Allâh
y établit une certaine chose, ensuite "Il efface ce qu'Il veut, et
établit (une autre chose qu'Il veut), et chez Lui se trouve la Mère
du Livre (Ummu-l-Kitâb)" (Cor. 13, 39)
Si l'homme attaché au "Livre" avait la foi dans la totalité
de son Livre, il ne s'égarerait jamais, mais lorsqu'il croit en une
partie du Livre et ne croit pas en l'autre partie, il est mécréant
pour de vrai (al-kâfiru haqqan), car Allâh a dit: "Ils
disent: "Nous croyons en une partie du Livre et ne croyons pas en l'autre!
Et ils cherchent à se trouver une voie intermédiaire. Ceux-là
sont les mécréants pour de vrai". (Cor. 4, 150-151). Or "les
mécréants d'entre les Gens du Livre... sont les pires
créatures" (Cor. 98, 5). Sous le rapport qui nous intéresse
ici, ces mécréants d'entre les Gens du Livre sont les
"littéralistes" (ashâbu-r-rusûm) et la plupart
des "gens de spéculation rationnelle"
(ahlu-n-nazari-l-fikrî) d'entre les philosophes et les
théologiens, qui reconnaissent une partie seulement de ce que les
Saints d'Allâh (Awliyâ'uLlâh) apportent en
conséquence de ce qu'ils ont réalisé en fait de stases
spirituelles (mawâjîd) et de secrets (asrâr)
qu'ils ont contemplés et trouvés. Ce qui s'en accorde avec
leurs propres opinions et connaissances, ces littéralistes et ces
spéculatifs l'acceptent comme vrai et ce qui ne s'en accorde pas,
ils le repoussent et le contestent, en déclarant: "Ceci est faux en
raison de son désaccord avec notre preuve à nous!" Or il se
peut que la "preuve" de ces pauvres ne jouisse pas de parfaites assises,
alors qu'ils se l'imaginent parfaitement établie. Dans ces conditions
ne vaudrait-il pas mieux s'abstenir de s'occuper de la parole en question
et de la laisser à la responsabilité de son auteur, sans d'ailleurs
que cela implique qu'on la reconnaisse comme vraie? S'ils procédaient
ainsi ils recueilleraient le fruit de la non-ingérence.
Moi, par Allâh, je crains beaucoup pour ceux qui contredisent les Gens
de notre Ordre (at-Tâ'ifa)! L'un d'entre eux (vraisemblablement
Ru'aym) a dit: "Celui qui siège avec eux - c'est-à-dire avec
les Connaissants des réalités essentielles d'entre les Soufis
- et les contredit en quelque chose qu'ils ont réalisé
sûrement (mimmâ yatahaqqaqûna bihi), Allâh
lui enlève du coeur la lumière de la foi!" L'un des gens de
spéculation rationnelle qui avait des prétentions à
la sagesse vint poser une question à l'un des Muhaqqiqûn.
J'étais présent, et les disciples de celui-ci assis. Le Muhaqqiq
commença à traiter de la question posée. Le dialecticien
dit: "Ceci n'est pas une chose valable selon moi. Explique-moi, peut-être
suis-je dans l'erreur". Le Muhaqqiq vit que sa parole serait vaine et se
tut, devant la contradiction et l'hostilité rencontrée, car
les êtres de cette condition n'acceptent pas des situations pareilles
en raison de l'impolitesse ainsi que de la privation de baraka qui en
résulte. C'est ainsi que le Prophète - qu'Allâh prie
sur lui et le salue! - dit à ses Compagnons qui se trouvaient chez
luii, et entre lesquels venait de se produire une contestation: "Chez moi,
la contestation est inadmissible!" Une autre fois, il avait dit: "On me faisait
voir la Nuit du Destin (Laylatu-l-Qadr), mais à ce moment-là
deux hommes se disputaient (à côté de moi), et la "Nuit"
fut enlevée". La voie de dévoilement et de contemplation n'admet
pas qu'on contredise et réfute celui qui parle au nom de celle-ci.
Un tel sacrilège se retourne contre le contestateur, alors que l'homme
de réalisation reste heureux avec ce qu'il connaît. - Un des
disciples de ce cheikh se releva et dit à l'importun: "Le point dont
parlait notre maître d'une façon si claire est certain, même
si je ne puis en donner moi-même l'explication". Le juriste
(al-faqîh) répliqua: "Une bonne parole, exprimée
dans une bonne forme, les intelligences peuvent la recevoir dès le
premier moment. Si, quand on l'examine avec la pierre de touche de la logique,
et qu'on la sonde avec les preuves existantes, elle s'en va sans consistance,
c'est qu'elle est purement fausse, comme cette question qu'a exposée
notre maître tout à l'heure". Le cheikh ne parla plus de cette
question, le spéculatif n'ayant pas compris ce qu'il avait formulé
et ce que sa langue avait exprimé. Ce fut pour le Muhaqqiq une instruction
au sujet de ce qu'il y avait dans l'âme de ce spéculatif, et
il vit qu'il convenait de s'abstenir de parler avec lui de ce genre de
choses.
Ensuite, sache que la Foi (al-lmân) appuyée sur les oeuvres
vertueuses se tient dans la Main de la Présence Très-Sainte
(al-Hadratu-l-Muqaddasa), et pendant qu'elle s'y applique à
sa tâche ('inda iqâmati-hi fîhâ), elle voit
jaillir entre les Doigts de cette Main les rivières des sciences et
des connaissances, des règles de sagesse et des secrets, et elle voit
ce que détient cette Main pour les compagnons des stations initiatiques
muhammadiennes. C'est de là que se nourrit la spiritualité
(rûhâniyya) du résident au niveau de cette
Présence qui est une des quatre Présences fondamentales, car
les résidents des différentes Présences sont tous
associés (quoiqu'à des degrés différents) à
cette Station Sanctissime (à laquelle ils puisent les grâces
correspondantes).
La première est la susmentionnée Présence de l'Application
à la Tâche (Hadratu-l-Iqâma);
La IIe est la Présence de la Lumière
(Hadratu-n-Nûr);
La IIIe est la Présence de l'Intellect (Hadratu-l-'Aql);
La IVe est la Présence de l'Homme (Hadratu-l-lnsân) qui
est la plus complète sous le rapport existentiel
(wujûdan).
Quand le serviteur accède à la Hadratu-l-Iqâma,
il boit à la rivière de la Permanence
(nahru-d-Daymûmiyya), et la résidence à cette
"présence" lui confère le maqâm de la "crainte du Seigneur"
(al-Khashyatu-r-rabbâniyya), la crainte sous le rapport
spécial du nom divin "le Seigneur",
(ar-Ridâ'u-l-ilâhî), car pour ce qui est du maqâm
de la "crainte de Dieu" (al-Khashyatu-l-ilâhiyya sous le rapport
du nom suprême "Allâh"), celui-ci lui résulte d'une
autre
"présence" différente de celle dont il est question ici, et
qui sera traitée parmi les Demeures Initiatiques
(al-Manâzil, sing. al-Manzîl) exposées dans
nos "Révélations de la Mecque"
(al-Futûhâtu-l-Makkiyya). Nous y parlerons également
de la "crainte du Soi" (Khashyatu-l-Huwwiyya, sous le rapport du Pronom
divin Huwa = Lui), dont nous ne pouvons traiter ici.
La Demeure initiatique dont nous avons parlé dans le présent
écrit inclut les "Demeures de l'Extinction et du Lever des Soleils"
(Manâzilu-l-Fanâ'i wa Tulû'i-sh-Shumûs): c'est
à cette Demeure que correspond le degré de l'Ihsân
(l'Accomplissement parfait de l'adoration). Il s'agit de l'Ihsân
par lequel "Lui te voit" (yarâ-k, 2' Ihsan) non de celui
par lequel "tu Le vois" (tarâ-H, lér lhsân),
L'Ange Gabriel - sur lui le salut! - avait demandé au Prophète
- qu'Allâh prie sur lui et le salue! - "Qu'est-ce que
l'lhsân?" Il répondit: "Que tu adores (ou serves) Allâh
comme si tu Le voyais (lEr Ihsân dont il ne sera plus question
ici); car si tu ne Le vois pas, Lui te voit (fa-in lam takun tarâ-H,
fa-inna-Hu yarâ-k, 2e Ihsân qu'il s'agira seulement
d'interpréter d'une façon spéciale): cette dernière
phrase comporte une acception à l'intention des Gens qui saisissent
les significations subtiles (Ahlu-l-lshârât), car
découpée ainsi: fa-in lam takun: tarâ-H, elle
signifie: "si tu n'es pas: tu Le vois (effectivement)", ce qui revient au
sens: "Sa vision n'a lieu que par ton extinction à toi-même".
L'alif du mot tarâ-H (représenté dans la
transcription par le seul accent circonflexe) a été maintenu
(car, dans la phrase découpée comme on le propose, on devrait
avoir, compte tenu de la règle de l'attraction modale, tara-H,
sans l'alif), afin que la vision (ar-ru'ya) s'appuie sur lui:
si l'alif avait été retranché, la "vision" n'aurait
pas été possible, car la lettre 1 (= H de tarâ-H)
est un symbole de ce qui est "absent" (kinâyatun 'ani-l-ghayb),
et l'absent n'est pas vu; en retranchant l'alif, on devrait "voir
sans vision", ce qui est une idée contradictoire. Telle est la raison
de son maintien.
Quant à la sagesse qui a présidé à la présence
du hâ dans tarâ-H (car la phrase aurait pu être:
fa-in lam takun: tarâ = "si tu n'es pas: tu vois"), c'est qu'on
voulait signifier: "Lorsque tu vois" par l'existence de l'alif, tu
ne peux dire: "J'ai enveloppé (tout) (ahattu)!", car Allâh
est trop majestueux et trop glorieux pour être "enveloppé";
alors le H (= Lui), qui est pronom de ce qui t'échappe (ou
de ce qui reste "absent" pour toi) en fait de Réalité du Vrai,
lors de la Vision, se tient là pour te prouver l'irréalité
de l'Enveloppement (al-lhâ.ta).
C'est Allâh qui est le Guide. Pas de Seigneur autre que Lui.
Ici finit ce qui nous fut destiné à rapporter au sujet de cette
Demeure initiatique.
Le Livre est fini dans la louange du Roi Donateur. |