Prière soufie  

Essence et pratique


Comment vivre dans la vie quotidienne la Présence de l'ineffable et du sublime ?

Merveille de la création : la simplicité et la complexité, l'éternel et l'éphémère, les joies et les peines les plus profondes peuvent coïncider de façon extraordinaire dans tous les instants, dans tous les lieux, dans toutes les situations...

Cet homme qui respire, cet homme vivant, c'est toi !

Celui qui porte, conscient ou non, le souffle de cette prière qui te relie à tous les hommes et à toutes les créatures, c'est toi !

D'une lumière unique tant de couleurs peuvent jaillirent !

D'une terre unique tant de saveurs différentes sécrétées.

Homme étonnant, unique et multiple qui porte le ciel, la terre et tout ce qui s'y trouve, quelle doit être le pouvoir de ta prière lorsqu'elle est la conscience intégrante de tous ces degrés de l'existence.

Nous avons reçu le plus magnifique des cadeaux : la Lumière de L'ETRE.

Or voici que nous choisissons par le chemin de la prière d'ajouter encore une Lumière sur cette lumière :

Au plus profond de nous, dans le lieu de ton secret, sont inscrites les essences éternelles de toute la création, les réalités les plus subtiles et les plus mystérieuses, de tous les temps de toutes les époques, les perles du trésor divin habitant dans ton cœur.

C'est du fond de ce creuset alchimique qu'est notre cœur que la cuisson de la prière va épanouir notre secret et le manifester par le jaillissement des lumières.

Nous sommes le canal de cette permanente transmutation entre le ciel et la terre, entre ces essences et leur manifestation à l'existence.

Regardons notre fonction ! plus qu'une porte, plus qu'un pont, notre cœur est l'espace de la gestation de l'univers, celui de sa naissance permanente.

Nous pouvons dire que Dieu a choisi de se regarder dans le miroir de notre cœur mais ce n'est pas assez si nous ne remarquons pas qu'il a voulu que cela soit dans cette multitude des facettes de notre cœur afin de se faire connaître par tous ces angles de lumière que constituent ses NOMS SUBLIMES.


Pratique de la prière du cœur


L’organe ultime de la connaissance et de l’amour, c’est le cœur, mais encore faut-il le découvrir dans toutes ses profondeurs.

Par la fonction de cet organe spirituel, l’invocation des Noms de Dieu et la pratique des vertus correspondante, l’homme priant est conduit à se revêtir des qualités divines et réalise ainsi l’Homme universel

Celui qui aspire à réaliser ce degré sublime doit comprendre ce qu’il implique comme effort et lutte contre l’ego usurpateur.

Les maîtres soufis ont enseigné dans cette voie de la prière certaines conditions de pratique :

En effet, prier sans avoir préparer le cœur est comme semer sur une terre non défrichée. Il faut apprendre à se prédisposer afin de recevoir la Présence divine. Je ne dis pas conformer le cœur car j’aurai peur que l’on comprenne qu’il doive s’identifier à une forme particulière. En effet en arabe, cœur se dit "qalb ", mot dont la racine évoque la notion de mutation, de transformation continuelle.

Le maître soufi Ibn Arabi souligne en ce sens l’analogie de ce cœur qui bat à chaque instant en relation avec notre souffle, avec le renouvellement permanent de la création et le renouvellement permanent des théophanies de la Présence divine qui assaille les profondeurs de l’être par une multitude de lumières, de secrets et de formes toujours nouvelles.

Ce cœur, organe de vision, est destiné à la contemplation, par une expérience spirituelle qui transcende les  " credo " projetés par les pensées ou les croyances limitatives. Prier c’est donc apprendre à ce cœur cette capacité de reconnaître  où qu’il se tourne, la Face de Dieu, ce qu’enseigne le Coran :

Que nous ne soyons pas limitées par une profession de foi particulière ou exclusive qui nous priverait de la Présence du bien-aimé dans une manifestation où ne saurions pas le reconnaître. Apprend ô mon cœur, à reconnaître ton Seigneur dans la richesse permanente et quotidienne de ses manifestations, quel que soit ton état.

L’intention

Voilà tout d’abord, la juste intention, que ce soit Lui qui me guide, par son Nom El HADI vers la connaissance de LUI par LUI, mais non pas en fonction de mes inquiétudes, de mes désirs ou de mes projections mentales.

Le repentir

Que le repentir au sens ancien du pathos m’aide à nettoyer ce cœur de tout ce qui le détourne et le voile de cette fonction de contemplation. Les religions peuvent avoir différents sens du péché mais pour celui qui pratique une expérience spirituelle, celui ci se résume à ce qui l’éloigne où le voile de la grande Présence.

 La sincérité

La sincérité, c’est cette prédisposition qui donne l’unification de toutes les puissances de l’être au service de cette connaissance de cet amour, de cette contemplation. Le signe de cette sincérité réussie c’est que nos œuvres ensuite en témoignent par le service. C’est en ce sens qu’est souvent répétée cette célèbre phrase du Prophète Saydina Mohhamad (sur lui les grâces unifiantes et pacifiantes) :

" La foi véritable est quelque chose qui surgit dans le cœur et dont la sincérité se vérifie par les œuvres(çaddaqahu-l-a’mal) ". Prier c’est donc se vêtir des attributs divins qui sont l’expression de ses Noms sublimes que nous invoquons. Comment pourrions nous invoquer sincèrement le Généreux, Al KARIM, si nous ne nous vêtissons pas de la générosité, de la charité, comment invoquer le Miséricordieux, AR-RAHMAN, si nous ne sommes pas miséricordieux compatissants. Laissons nous imprégner par les couleurs multiples de Ses Noms de lumière dans toutes les situations de la vie quotidienne.

 La vigilance

La vigilance, c’est le sens profond de ce qu’on appel extérieurement la piété, c’est la capacité de préserver cette Présence permanente, non pas d’une façon figée mais justement dans ce renouvellement continuel. C’est la fidélité, la constance et la stabilité dans cette actualisation permanente et créatrice de la connaissance.


La méthode


La voie soufie n'est pas une méthode ou un chemin que l'on pourrait simplement cataloguer parmis d'autres, c'est l'expression de l'épanouissement de l'Homme, dans toute sa dimension, dans la parfaite harmonisation de ses états de l'Etre. Il est vrai néanmoins que les maîtres ont enseigné certaines méthodes aux disciples afin de faciliter leur chemin sur la voie par des points de repère. C’est dans ce contexte seulement, après une préparation adéquate pour garantir l’orientation, qu’a été enseignée la concentration sur certains centres subtils du corps, au nombre de cinq par exemple, dans la confrérie naqchabandi. Ces centres subtils, " lataif ", sont tout autour de la poitrine, en relation avec les stations spirituelles des grands envoyés de l’humanité. Certains disciples se concentrent sur eux méthodiquement, d’autres en reçoivent directement l’ouverture de leur maître. Les lieux spirituels qui donnent un enseignement sur cette prière le donnent à des niveaux très divers.

Sur le plan historique de nombreux courants se sont réclamés du soufisme. En particulier, ils se sont formalisés en s'organisant de façon plus ou moins scolaire, selon les cas, en tant que confréries. Il convient de regarder ces groupements respectables comme des cristallisations particulières et circonstancielles qui ne sauraient néanmoins s'identifier à la Voie soufie. Ces lieux spirituels ou confréries doivent être considérés comme des aéroports d'importances différentes où il s'agit non de s'installer mais de décoller pour prendre la Voie. L'un des rôles principaux de ces lieux d’enseignement, lorsqu'ils restent vivants, est précisément d'apprendre au disciple à prier, à s'envoler, à trouver finalement son propre orbite et d’aider le disciple à "retourner à son Seigneur " selon le verset du Coran :

"

Ceci est une invitation pour l’âme errante à retrouver son principe. Le Maître soufi Ibn Arabi enseigne à partir de ce verset que l’homme ne rencontre Dieu que par la reconnaissance de son propre Seigneur. Celui ci représente cette face unique et à chaque fois particulière par laquelle Dieu se fait connaître à chaque homme dans le lieu de son secret.

Connaître ainsi le Nom particulier de Dieu qui nous est prédisposé est la clé de la satisfaction et de la paix. C’est l’âme qui en se connaissant connaît son Seigneur. Un lieu spirituel vivant, c'est celui où le compagnonnage est effectif. Le premier compagnon, c'est le maître spirituel ou l'instructeur délégué. Leur fonction est celle du miroir qui révèle au disciple la profondeur de son âme, le mettant face à sa Réalité. Le maître spirituel est le premier témoin de cette Présence qui est la réalisation vivante et entière de la prière.

 La prière est la réalisation de notre véritable constitution humaine : ceci est le secret de la "çalat ‘ala-n-nabi ", la prière sur le Prophète. La mer agite son ressac, le vent souffle sur la terre, la pluie tombe du ciel et l'homme respire. Connaître le mouvement de la prière est intimement lié au fait de connaître la constitution de l'homme dans toute sa dimension. La prière soufie en effet est un acte de connaissance sur la voie. L’éveil de la conscience est comme l'expression de la vibration originelle, " le fiat lux ", " que la lumière soit ! " par laquelle le monde a été créé.

Dans la tradition soufie, le monde a été créé de cette lumière prophétique qui est la substance même de la création. Cette lumière a pris des formes humaines au cours de l'histoire, Adam, Elie, Abraham, Moise, Jésus, Mohammad. Tous sont des modalités de cette lumière qui a pris forme. Les maîtres spirituels sont quant à eux les héritiers de ces grands envoyés à notre époque et ils sont donc aussi les porteurs de cette lumière, de cette Présence. Celle ci nous renvoi à notre propre situation d'héritier, ici et maintenant, selon nos capacités. Elle nous conduit à cet éveil qui nous révèle notre place et qui est l'essence de notre prière. Elle est ce tissage de notre conscience qui relie la chaîne et la trame sur le métier à tisser de l'existence, elle relie l'arbre et la feuille, la structure holistique et le plus infime détail.

La prière sur le Prophète est dans cet esprit, la vivification de notre réalité profonde, sa mise à jour, son émergence, par la prière sur celui qui en est le symbole manifesté. Elle est éveil de cette conscience de l’Homme universel qui nous habite.

Quel est cet homme dont nous parlons ?

L’homme a été créé à l’image de Dieu confirme la Bible et le Coran, mais dans cet homme sont inclus à la fois, la possibilité virtuelle de l’Homme Universel et l’individu qui peut avoir oublié ce trésor divin, cet archétype idéal qu’il s’agit de réaliser par l’actualisation des possibilités de son ETRE.

Le grand maître soufi, In Arabi dit en ce sens :

" Lorsque parvient aux oreilles de l’homme qu’il a été créé selon la forme de DIEU, s’il ne fait pas la différence entrez l’Homme Universel et l’homme individuel il s’imagine que l’homme est selon la forme divine en tant que tel, alors qu’il n’en est pas ainsi : en tant qu’homme, il possède uniquement la capacité virtuelle de réaliser cette forme, de sorte que si celle ci lui est conférée, rien ne s’oppose à ce qu’il en soit le support. En ce cas mais en ce cas seulement, il sera selon la forme divine et sera compté au nombre des Califes (lieu-tenant de Dieu). (Futuhat, chap 463.voir Les sept étendards du Califat, Ch-A GILIS, Editions traditionnelles)

De la feuille à la racine : de notre état quotidien à notre réalité profonde.

L'homme de prière croit trouver parfois un lieu de repos pour son esprit en s'installant dans les profondeurs de son Etre, mais pour le musulman jaillit en permanence un cri : " Allahou Akbar ", "dieu est plus grand encore " (que ce qu’on Lui attribue quelle que soit la situation ).

Dieu est au-delà de cet arrêt, de cette étape si sublime soit-elle. Il n'y a pas de fin pour l'infini. Cette existence même porte l'exigence d'un renouvellement permanent de chaque instant. Nous sommes des vivants engagés dans une relation avec les plus petits détails de la vie. Cette immensité qui est en nous ne nous dispense pas d'avoir faim et soif, d'avoir sommeil, d'avoir froid ou chaud, de souffrir et de mourir.

Le sens de cette prière c'est d'être la respiration permanente qui relie cette immensité à cet instant fugitif, cette conscience d'infini à cette émotion, à cette conscience fugitive d'une douleur, d'une peine d'une pensée, d'une souffrance.

Cette prière c'est la sève qui dans l'arbre humain relie la racine à la feuille. Elle est créatrice comme la sève crée la feuille ou le fruit, elle est conversion de nos ténèbres en lumière, de nos souffrances en joie, de notre ignorance en connaissance par le pouvoir de cette intercession de miséricorde qu’elle contient, pouvoir de vie qui fait de cette terre sans saveur un fruit délicieux et nourrissant. Comme dans la nature la lumière par photosynthèse produit la végétation et les fruits.

La difficulté pour l’homme ordinaire, c’est que le monde et ses plus petits détails de chaque instant sollicite sa conscience, l’investissant avec tyrannie. Or il ne s’agit pas de quitter le monde mais au contraire de l’assumer de l’aimer, de le comprendre et de participer à sa transformation selon la place qui nous a été donnée depuis toujours par la Sagesse divine. Cet influx de miséricorde qui nous conduit à l’instar de la sève à nous transformer, nous conduit aussi dans la même mesure à une permanente intercession envers toutes les créatures dont nous sommes solidaires comme les particules d’un même corps. Notre place est aussi belle que toutes les autres places car elle porte une part de la lumière.

Quel que soit notre point de départ sur le chemin, nous avons l’honneur d’avoir reçu l’ETRE et la capacité de réaliser l’Homme universel qui synthétise en lui toute la création. Cette prédisposition ne nous dispense pas de prendre le chemin, au contraire elle nous y invite. La multiplicité de nos misères, de nos faiblesses et de nos souffrances humaines n’est pas plus destinée à nous détourner du chemin, au contraire elle constitue autant de portes, si simples soient-elles, vers la Réalité qui contient précisément toutes choses parce qu’elle est la Toute Possibilité dont l’Homme universel est le représentant sur la terre :